Bonjour Rav,
peut on porter le masque pendant chabat dans le rechout harabim?
Bonjour,
Analyse de la question
Votre question est particulièrement d’actualité à cause de l’épidémie du coronavirus. Nous considérons qu’elle concerne la France où il n’y a pas d’Érouv permettant de porter selon certaines autorités.
La difficulté dans cette question provient du fait qu’à notre connaissance, elle n’a pas été traitée auparavant ni par la Guémara, les Richonim ou les A’haronim. Les décisionnaires de notre génération se sont donc attelés à cette tâche consistant à trouver des exemples proches dans la littérature rabbinique afin de les extrapoler à notre cas. On retrouvera leurs réponses non pas dans des livres, mais plutôt dans des feuillets [kountrass] sortis récemment. La seule référence au port d’un masque à Chabbat dans le Talmud fut un masque pour faire peur aux enfants ! (Michna chabbat fin de chap. 6).
L’interdit de porter certains objets à Chabbat
Il est interdit par la Torah de porter un objet pendant Chabbat. Néanmoins, il existe deux catégories d’articles que l’on peut porter : un vêtement et un bijou.
Le fait de sortir avec un habit est permis, car celui-ci est annulé au corps. Tant qu’une personne porte ce vêtement, il ne transgresse pas l’interdit de portée. Cette permission a été étendue à un objet qui permet de guérir ou se protéger
- Pour guérir
À la lecture de plusieurs lois du Choul’han Aroukh, il semblerait que l’on peut sortir un objet uniquement si celui-ci guérit. À première vue, cela s’avère différent de notre cas, car il n’a pas vocation à guérir.
יוצאים במוך וספוג שעל המכה לפי שהם מרפאים הילכך הוי כמו תכשיט, שעליה
« Il est permis de sortir à Chabbat avec un morceau de coton ou une sorte d’éponge placée sur une plaie, car cela permet de soigner la plaie. Il s’agit donc d’un ornement. ». (Choul’han ‘Aroukh 301 :22)
- Pour protéger
Cependant, le Choul’han ‘Aroukh (301 :28) va plus loin car il permet de porter un vêtement même si c’est uniquement pour protéger ou éviter une souffrance.
מי שיש לו מכה בפיסת רגלו וקושר עליה מטבע להגין שלא ינגף ברגלו, וגם הוא מרפא, מותר לצאת בו
« Celui qui a une plaie dans la plante du pied et qu’il attache dessus une pièce pour protéger la plaie et afin qu’elle guérisse, il sera permis de sortir avec cette pièce. » (Choul’han ‘Aroukh 301 :22)
אסורה לצאת בו אם לא יהא סינר עשוי כעין מלבוש אבל אם קושרתו כדי שלא יכאב לה הדם ולא תצטער מותר לצאת בו
« Une femme qui a un écoulement sanguin pourra sortir avec un tablier de sorte que le sang ne lui fasse pas mal une fois qu’il a séché. »
Cette décision sera suivie par le Gaon de Vina et d’autre décisionnaire (Michna Broura 301 :108) qui tranchent qu’un objet qui protège la plaie même s’il ne soigne pas est considéré comme un vêtement. Pour cela ils justifient leur position à l’aide d’une Tossefta (6 :3).
יוצאין במוך ובספוג שעל גבי המכה ובלבד שלא יכרוך עליהן חוט או משיחה
« Il est permis de sortir à Chabbat avec un morceau de coton [un pansement] sur une plaie à condition que l’on n’entoure pas dessus un fil. »
On peut comprendre que l’interdit d’entourer un fil ne concerne que le fait de l’entourer sur le coton, mais pas sur la plaie, car le fil va la protéger.
Si nous admettons que le port du masque dans la rue permet de se protéger afin de ne pas être contaminé et éviter ainsi de tomber malade, alors on pourra le porter pendant Chabbat.
- Pour se protéger
Au début, certains décisionnaires ont défendu de porter le masque pendant Chabbat dans la rue, car d’après les instances sanitaires, le masque évitait de projeter des postillons et des gouttelettes microscopiques dans l’air et donc ce masque avait pour fonction de protéger les autres.
Cela ne correspond pas à la définition d’un vêtement qui a pour but de protéger notre corps et pas celui des autres. C’est pour cela que certains décisionnaires ont défendu dans un premier temps le masque dans la rue Chabbat.
Puis, les experts sont revenus sur leurs dires et ont affirmé que le masque permettait non seulement de ne pas contaminer les autres, mais permettait également de se protéger soi-même.
La majorité des masques vendus dans le commerce même ceux en tissu ou jetables offrent un niveau de protection minimal pour le porteur du masque.
L’interdit des sages d’en venir à porter l’objet
- Le principe
Les sages ont érigé une barrière afin d’éviter qu’un individu n’en vienne à transporter un objet dans le domaine public, ce qui est un interdit de la Torah. Il existe plusieurs justifications à ce risque : s’il n’est pas très bien attaché au corps, si on a l’habitude de le montrer aux autres, si l’on risque de l’enlever de peur des moqueries. (Michna chabbat chap. 6 ; Choul’han ‘Aroukh 303)
- Cet interdit des sages s’applique-t-il pour un masque ?
À première vue, il semblerait que le port du masque est concerné par cet interdit des sages, car ils sont parfois très inconfortables à porter. De plus les gens sont enclins à les retirer de leur visage pour parler à quelqu’un.
Néanmoins de nombreux décisionnaires ont trouvé des arguments pour expliquer que cette barrière ne s’appliquerait pas dans le cas du masque. Certains de ces arguments sont contestables :
- Certains décisionnaires avancent l’idée que les gens sont pointilleux de ne pas enlever le masque, or on peut établir cette loi sur la base du comportement des gens. Par exemple l’interdit des femmes de sortir avec certains bijoux n’est plus en vigueur, car les habitudes ont changé (‘Aroukh Hachoul’han 303 : 22). Mais les gens en France ne semblent pas très pointilleux sur ce point-là. Peut-être cet argument est vrai dans les pays asiatiques où le masque était déjà fréquent même avant l’épidémie du coronavirus.
- Certains décisionnaires expliquent que l’on ne peut pas décréter des extensions aux interdits des sages de notre plein gré dans tous les domaines. On en viendrait à interdire de porter un chapeau de peur de l’enlever pour se gratter la tête. (Rav Yits’hak Yossef) On ne pourrait donc pas interdire le port du masque à Chabbat, car les sages ne l’ont pas interdit. On pourrait rétorquer à ce point de vue que de nombreux cas ont été rajoutés par les décisionnaires sur les cas de la Guémara. Par exemple, le Choul’han ‘Aroukh (301 :37) rapporte une opinion qui interdit de sortir avec des gants de peur de les enlever, alors que la Guemara n’a jamais parlé des gants à Chabbat.
- Le port du masque sous le visage est « seulement » interdit par les sages, car ce n’est pas la façon habituelle de porter. La crainte des sages serait uniquement si les gens portent le masque à la main ce qui est interdit par la Torah. Il n’y aurait pas lieu d’appliquer la Guézera dans un interdit des sages. (Biour Halakha sur Choul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm 301:37 ).
Les autres points à discuter
- Certains soutiennent que l’on pourrait être davantage permissif pour le port du masque par rapport aux autorisations de porter un pansement, car il recouvre le visage, ce qui est considéré comme une façon normale de porter” un vêtement. C’est ainsi que se portent des contours de cou par grand froid. (Rav Asher Weiss)
- Certains décisionnaires disent qu’il n’y a pas de domaine public interdit par la Torah de nos jours. On est seulement dans un domaine interdit que par les sages. On pourrait donc être plus permissif pour notre question. On rétorquera que d’autres décisionnaires considèrent qu’il y a un interdit de la Torah de porter dans une ville de 600 000 habitants (comme paris) si la rue en question fait au moins 8 mètres de largeur.
En conclusion
Il existe de très nombreuses autorités rabbiniques qui ont autorisé le port du masque pendant chabbat. Parmi celles-ci, citons le Rav Yits’hak Yossef, le Rav Klein de Bné Brak, le Rav Osher Weiss.
Ces décisionnaires ont permis le port du masque uniquement si celui-ci est correctement placé sur le nez et la bouche et non sur le menton. Il faudra également bien le fixer au visage afin qu’il remplisse son rôle « d’habit ».
L’utilité du port du masque est un sujet controversé par la communauté scientifique. Nous partons du principe que nous sommes dans une configuration ou celui-ci s’avère utile. Il est vrai que notre réponse pourrait varier selon la gravité de la situation sanitaire du pays et selon l’état de santé et l’âge d’une personne.
Néanmoins, il y a lieu de craindre que les gens le disposent sur le bas du visage ou pire encore le portent à la main ce qui deviendrait un interdit de la Torah. Nous constatons hélas beaucoup de gens se comporter ainsi dans la rue. C’est pourquoi il faudra insister à ce que l’on fasse extrêmement attention à le porter correctement.
A noter qu’une personne qui ne porte pas de masque dans la rue en semaine devra s’abstenir de le mettre dans la rue Chabbat.
H. Gozlan